Colloque Amyotrophies Spinales : Ensemble, franchissons une Nouvelle Frontière
16 & 17 mai 2003 - Centre de Conférences – Génocentre, Evry
Conseil génétique dans les maladies récessives autosomiques :
exemple des amyotrophies spinales infantiles
P. Saugier-Veber, T. Frebourg
INSERM EMI 9906 - IFRMP, Faculté de Médecine et de Pharmacie
Laboratoire de Génétique Moléculaire, Service de Génétique, CHU de Rouen
INTRODUCTION
Le conseil génétique des apparentés dans les maladies récessives autosomiques revêt une particulière importance pour les maladies les plus fréquentes. Ainsi, l'amyotrophie spinale, compte-tenu de son incidence de 1/6000 naissances et de sa sévérité, motive le conseil génétique des couples qui ont un antécédent familial d'amyotrophie spinale infantile. A titre d’exemple, l’oncle d’un enfant atteint d'amyotrophie spinale infantile et sa conjointe ont un risque de 1/2 x 1/40 x 1/4 = 1/320 d’avoir un enfant atteint alors que, pour la même parenté, si l’enfant est atteint de syndrome de Smith-Lemli-Opitz dont l’incidence a été estimée à 1/25 000 naissances, le risque a priori du couple est de 1/2 x 1/160 x 1/4 = 1/1280 d’avoir un enfant atteint. L’incidence de l’affection, en conditionnant la fréquence des hétérozygotes dans la population générale, dicte donc le conseil génétique.
Le calcul du risque a priori de chaque couple se rendant en consultation de génétique constitue la première étape du conseil génétique. Un risque faible de l’ordre de 1/1000 doit conduire à rassurer les couples sans étude complémentaire tandis qu’un risque plus élevé doit faire discuter la réalisation d’études de génétique moléculaire visant à déterminer de façon plus précise le statut de chaque membre du couple. Les possibilités d’investigation génétique sont excessivement variables d’une maladie à l’autre, d’une part en fonction des mutations du gène en cause et d’autre part, en fonction des possibilités techniques d’exploration de ce gène. Les laboratoires de génétique moléculaire ont la responsabilité de mettre à la disposition des cliniciens les techniques les plus performantes pour garantir l’acuité du conseil génétique. L'objectif est de parvenir à détecter les couples d'hétérozygotes qui ont un risque de ¼ d'avoir un enfant atteint et à rassurer les autres couples en effondrant leur risque après étude de génétique moléculaire à moins de 1/1000.
La difficulté pour le conseil génétique tient au fait que tous les allèles morbides ne sont pas détectables et il persiste donc un risque résiduel. Pour la mucoviscidose, la difficulté technique est relative à l’hétérogénéité allélique c’est-à-dire au très grand nombre de mutations à aller rechercher alors que, pour les amyotrophies spinales infantiles, la difficulté est due au mécanisme moléculaire même de la maladie qui génère à la fois des délétions et des duplications, duplications qui peuvent masquer les délétions. Nous développerons cette notion de risque résiduel dans les amyotrophies spinales infantiles et l’illustrerons par différentes situations de conseil génétique. Sur le plan médico-légal, nous rappelons que toute étude de génétique chez un sujet asymptomatique doit être prescrite par un généticien après recueil du consentement éclairé (arrêté du 2 mai 2001 complétant l'article R.145-15-5 du code de la santé publique).
A- Les méthodes de détection de la délétion hétérozygote du gène SMN1
L'incidence élevée de cette maladie explique la forte demande de conseil génétique. Pourtant, ce n'est que depuis 2000 que le dépistage des hétérozygotes peut être proposé. En effet, si la détection d'une délétion à l'état homozygote chez le cas index ne pose pas de problème technique particulier, en revanche, la détection d'une délétion à l'état hétérozygote dans cette région dupliquée est considérablement plus complexe en raison du nombre variable de copies des gènes SMN1 et SMN2, de 1 à 4 copies par chromosome.
Plusieurs techniques de quantification des copies des gènes SMN1 et SMN2 ont été décrites ces dernières années, reposant sur des principes différents (McAndrew et al. 1997; Wirth et al. 1999; Chen et al. 1999; Gérard et al. 2000; Saugier-Veber et al. 2001; Feldkötter et al. 2002). Il faut souligner que toutes ces méthodes de génétique moléculaire permettent une quantification des copies des gènes SMN1 et SMN2 mais qu'aucune d'entre elle n'est capable de préciser la situation en cis ou en trans de ces copies.
B- Le risque résiduel
Aucune de ces méthodes n'est capable de dépister la totalité des allèles morbides et il existe donc un risque résiduel. Ce risque résiduel est relatif à l'existence de petites mutations dans le gène SMN1 qui ne peuvent pas être décelées par les méthodes citées ci-dessus qui ne détectent que les délétions, à une duplication en cis du gène SMN1 masquant une délétion sur l'autre allèle et à la survenue d'une délétion de novo. Plusieurs travaux ont montré que 1,4 à 3,4 % des patients atteints de SMA sont hétérozygotes composites avec une délétion et une mutation ponctuelle du gène SMN1 (Lefebvre et al, 1995; Parsons et al, 1998; Wirth et al. 1999). De même, les délétions de novo ont été documentées approximativement, dans 2 % des cas de SMA (Raclin et al. 1997; Wirth et al. 1997; Chen et al. 1999). Enfin, après compilation de l'ensemble des données de la littérature, il apparaît que 3,0 à 4,8 % des sujets hétérozygotes présentent une duplication en cis du gène SMN1 masquant une délétion sur le second allèle (McAndrew et al. 1997; Wirth et al. 1999; Saugier-Veber et al. 2001; Feldkötter et al. 2002). Enfin, le risque de mosaïque germinale doit être considéré (Campbell et al. 1998). Au total, le risque résiduel défini comme la somme des allèles morbides non détectés et des délétions de novo sur la somme des allèles morbides peut être estimé globalement à moins de 10 %.
De manière à minimiser le risque d'erreur au cours du conseil génétique, deux précautions doivent être prises : i) confirmer systématiquement l'existence d'une délétion à l'état homozygote du gène SMN1 chez le cas index (éliminant ainsi la possibilité de mutation ponctuelle chez le cas index) ii) étudier les deux conjoints simultanément. A ces conditions, la détection des délétions hétérozygotes du gène SMN1 devrait faciliter considérablement le conseil génétique au sein des familles de SMA et réduire le nombre de diagnostics prénatals proposés pour un risque faible.
C- Le conseil génétique des apparentés de patients atteints de SMA
Le conseil génétique des apparentés de patients atteints de SMA commencera par l'évaluation du risque a priori d'avoir un enfant atteint. Ainsi, les frères et sœurs d'un sujet atteint ont un risque a priori de 2/3 x 1/40 x 1/4 = 1/240 d'avoir un enfant atteint de SMA. La mise en évidence d'une délétion hétérozygote chez l'apparenté et de 2 copies du gène SMN1 chez son conjoint conduira à la réduction du risque de 1/240 à 1 x (1/40 x 1/10) x 1/4 = 1/1600. Ce risque doit permettre en lui-même de rassurer le couple et de le dissuader d'avoir recours à un diagnostic prénatal car le risque de fausse couche dû au geste obstétrical est alors très supérieur au risque que le fœtus soit atteint. De même, l'identification de 2 copies du gène SMN1 chez les 2 conjoints fera chuter le risque à (2/3 x 1/10) x (1/40 x 1/10) x 1/4 = 1/24000, risque qui devient alors inférieur au risque de la population générale. Pour les oncles et tantes d'un enfant atteint, le calcul est similaire : le risque a priori étant de 1/2 x 1/40 x 1/4 = 1/320, l'identification d'une délétion hétérozygote chez l'apparenté et de 2 copies du gène SMN1 chez son conjoint conduira à la réduction du risque de 1/240 à 1 x (1/40 x 1/10) x 1/4 = 1/1600 alors que la mise en évidence de 2 copies du gène SMN1 chez les 2 conjoints permettra de réduire le risque à (1/2x 1/10) x (1/40 x 1/10) x 1/4 = 1/32 000.
Les risques a priori les plus importants sont rencontrés dans la situation d'un sujet atteint de SMA de type III qui s'inquiète du risque de SMA pour sa descendance (risque de 1 x 1/40 x 1/2 = 1/80) ou celle d'un parent d'enfant atteint de SMA à l'occasion d'un remariage (risque de 1 x 1/40 x 1/4 = 1/160). En revanche, il faut bien avoir en tête que la recherche de délétion hétérozygote du gène SMN1 n'est pas indiquée quand le risque a priori est inférieur ou égal à 1/2560. En effet, l'identification d'une délétion à l'état hétérozygote conduira à un risque de 1/1600 et donc, cette augmentation du risque après étude de génétique moléculaire ne parviendra pas à rassurer le couple.
La recherche de délétions hétérozygotes est également particulièrement indiquée dans les familles de SMA avec de multiples unions consanguines qui rendent très aléatoire le calcul de risque a priori. En revanche, il n'y a pas à ce jour de consensus national pour la recherche de délétions hétérozygotes du gène SMN1 dans les familles consanguines sans antécédent de SMA.
L'identification d'une délétion hétérozygote dans une famille pourra permettre des études familiales plus poussées, notamment à la génération précédente, de manière à déterminer dans quelle branche familiale le conseil génétique doit être poursuivi. Autant la recherche d'une délétion hétérozygote chez des adultes jeunes pour définir le risque de SMA dans leur descendance impose le prélèvement des 2 conjoints et leur étude simultanée, autant la recherche de cette délétion chez des sujets plus âgés pour poursuivre le conseil génétique de la famille ne requiert que le prélèvement du sujet concerné.
Il conviendra de vérifier systématiquement l'existence d'une délétion à l'état hétérozygote du gène SMN1 chez les parents d'un cas index avec délétion homozygote. En effet, l'existence de 2 copies du gène SMN1 chez l'un des parents peut correspondre à deux situations dont le conseil génétique est radicalement différent. Il peut s'agir d'une délétion de novo, le risque de récurrence est alors extrêmement faible. En raison du risque de mosaïque germinale, un diagnostic prénatal pourra être proposé à la grossesse suivante mais après amniocentèse car le risque de fausse couche dû au geste obstétrical est très inférieur à celui d’une biopsie de trophoblaste. Mais il peut aussi s'agir d'une duplication en cis masquant une délétion sur le second allèle. Le risque de récurrence est alors de ¼. Et c'est l'indication que la plus grande prudence doit être apportée pour le conseil génétique des frères et sœurs de ce parent qui, avec 2 copies du gène SMN1, peuvent être également hétérozygotes et porteurs de cette duplication en cis.
La détection des délétions hétérozygotes du gène SMN1 peut également apporter une aide au diagnostic positif d’amyotrophie spinale infantile :
II. CONSEIL GENETIQUE DES COUPLES D'HETEROZYGOTES
L'identification d'une délétion à l'état hétérozygote chez deux conjoints au cours du conseil génétique permet de définir leur risque de ¼ d'avoir un enfant atteint de SMA. A ces couples d'hétérozygotes, le généticien propose un diagnostic prénatal, le plus souvent sur biopsie de trophoblaste à 11 semaines d'aménorrhée. Si, techniquement, ce diagnostic prénatal est souvent possible et d'une grande fiabilité, en revanche, il comporte certains risques liés au geste obstétrical et soulève des questions éthiques dont les patients sont informés. La prise en charge de ces couples à risque est ainsi multidisciplinaire.
Le diagnostic prénatal a pour objectif de répondre à la question posée par les parents : l’enfant à naître est-il atteint de SMA ? Le généticien doit choisir les outils de diagnostic qui permettent la parfaite adéquation de la réponse à la question posée. La recherche d’une délétion homozygote du gène SMN1 par ACRS est à cet égard parfaitement satisfaisante (Van der Steege et al, 1995; Scheffer et al, 2001). Mais, lorsque le fœtus est sain, certains parents posent la question de son statut d’hétérozygote. Et certains généticiens cliniciens, soucieux de la transmission des informations au sein de la famille pour le conseil génétique à la génération suivante, ne seraient pas opposés à ce que le statut d’hétérozygote soit révélé aux parents. Il nous semble qu’avant d’accéder à cette demande, un grand débat entre généticiens sur ce problème de la transmission des informations d’ordre génétique doit avoir lieu et que, dans le cadre d’une maladie récessive autosomique, dans la mesure où le risque de transmission de l’affection dépend du statut du conjoint, la révélation du statut d’hétérozygote chez un fœtus semble prématurée et ne pourra qu’alimenter des fantasmes inconscients.
Conclusion :
Le consultation de génétique doit pouvoir répondre à une question bien légitime des apparentés dans le cadre de maladies récessives autosomiques : quel est le risque que nous ayons un enfant atteint de cette affection ? De manière à évaluer au mieux le risque de récurrence, le généticien sera amené à calculer le risque a priori d'avoir un enfant atteint qui dépend d'une part de l'incidence de l'affection, et d'autre part du degré de parenté avec le sujet atteint. Si le risque a priori est élevé, des investigations complémentaires pourront être proposées de manière à préciser ce risque lorsque, techniquement, cela est possible. C'est dire l'importance que cette étape de conseil génétique soit entreprise avant toute grossesse. Lorsque les deux conjoints sont hétérozygotes, un diagnostic prénatal pourra être proposé au couple. Si aucune mutation n'est trouvée chez un des conjoints, le généticien définit le risque du couple en fonction de la sensibilité de la technique utilisée pour la recherche de ces mutations. En effet, dans la mesure où, à ce jour, aucune technique n'est capable de déceler la totalité des allèles morbides, il persiste un risque résiduel que le généticien devra évaluer avec le couple. Dans la majorité des cas, ces études permettent d'informer avec précision les couples sur leur statut.
Références
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